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dimanche 4 mai 2008

Noël Noël - Le rasoir du coiffeur

(vers 1930)

Un jour, n'ayant pas mon rasoir,
Chez un coiffeur je dus m'asseoir.
Un jeune commis bien aimable
M'offrit un fauteuil confortable.
Me voyant, le patron, tout bas,
Lui dit : Attention, Nicolas,
Vous n'êtes plus un débutant.
Voilà votre second client.
Tâchez un peu d' vous rattraper.
Faites attention, je vous surveille.
Tâchez de n' pas encore couper
Une oreille.

J'avais pâli légèrement
Voyant déjà, c'était charmant,
Un petit bout de ma binette
Valser gaiement dans la cuvette.
Maintenant, l'apprenti merlan
Me regardait l'air pantelant.
Son affreux rasoir en avant,
Il semblait dire en m'observant :
Les joues n' seraient rien à contourner,
D'ici à là, j' passe et j' te r'passe.
Seulement, voilà, il y a l' bon dieu d' nez
Qui dépasse

Quand il m'eut blanchi le menton
De la mousse de son savon,
Il gagna l'arrière-boutique,
Tout pâle, tout énigmatique.
Il revint, au bout d'un moment,
Dissimulant des pansements,
Un flacon d'iode et du coton.
Ah ! Charmant pour les précautions,
Des riens pareils, ça vous rassure !
Instinctivement, l'âme inquiète,
Je cherchais un peu l' panier d' sciure
Pour ma tête.

Mon pourvoi a été rejeté ;
Le rasoir fut alors porté,
D'une main vraiment pas très sûre,
Sur la pâleur de ma figure.
Il tenait ça comme un bâton,
Comme un cierge ou un mirliton.
Bon Dieu, qui lui avait appris
À raser, à cet ahuri ?
Il procédait par moulinets :
Et zou et zou, pour la moustache,
Un peu comme s'il fauchait les prés
Pour les vaches.

Chaque coup qui me rabotait,
Je croyais bien que ça y était.
Et, j'avoue, ma peur fut complète
Quand il me renversa la tête.
Il allait frotter son outil
Contre ma gorge, sapristi !
C'est alors que, l'air engageant,
Il eut ces mots encourageants :
Le patron m' surveille, je l' sens bien ;
Il va m' foutre à la porte si j' loupe.
Soyez gentil, hein, mine de rien
Si j' vous coupe.

Zut, continua-t-il à mi-voix,
Aie donc, v'là que j' me coupe le doigt.
Puis, il ajouta ces mots vagues :
J' vais bien finir par faire des blagues.
La lame, approchant de mon cou,
Une idée me vint tout à coup.
Vous, vous avez rasé tout ceci,
La moustache, bon, bien, merci.
Ça suffit, je viens d' décider,
C'est p't-être pas la mode, mais j' m'en fiche.
Ça f'ra plus coquet, j' vais garder
La barbiche.

Je payai, sans perdre de temps,
Tout étonné, mais bien content,
De me tirer de l'aventure
Sans une seule égratignure.
Depuis, chez moi le plus souvent,
Je me rase, tout comme avant,
Mais dès que je tiens dans mes doigts
Mon rasoir, je ne sais pourquoi,
Je repense à l'autre Iroquois
Je me revois là, sous sa coupe.
Ça m'impressionne et chaque fois
Je me coupe !

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